La vie des femmes de marins de la Grande Pêche
« Femmes de marins, femmes de chagrins »
Ce dicton a souvent été employé pour désigner ces femmes, filles ou épouses des marins de Grande Pêche, gardiennes du foyer. Dès le milieu du XX ème siècle il s’applique beaucoup moins : rotations plus courtes, nouvelles plus fréquentes, etc…
Quelles sont ces femmes qui portaient tout le poids de ces absences, des problèmes financiers et psychologiques et aussi des deuils ? Une courte étude s’est faite sur la Grande Pêche de 1930 à 1970, avec le hiatus de la guerre 40/45.
Nous avons trouvé et interrogé trois femmes de la région de Cancale / Saint-Malo, âgées de plus de 80 ans. Elles avaient connu les embarquements de leurs hommes sur les voiliers et les chalutiers.
Elles étaient filles de marin ou vivant dans le milieu. Elles avaient connu, dès le plus jeune âge, la vie austère des familles maritimes : l’absence du père avait précédé celle du mari et peut-être plus tard celle du fils. L’une d’entre elles avait une grand’mère veuve à 27 ans avec trois enfants, une autre était orpheline, à 10 ans, de père disparu avec son doris.
Les mariages étaient célébrés en novembre / décembre, au retour des navires. C’était une grande fête qui pouvait durer 3 jours. Il fallait déjà prévoir le départ avec l’achat ou le renouvellement du « sac », des provisions, …
La période d’embarquement à la Grande Pêche, aux époques citées, était de mars à octobre. Avant la convention collective des années 50, le marin embarquait avec une maigre « avance » et l’espoir d’un bon « retour de pêche » basé sur la vente du poisson et versé au prorata de sa part de pêche, quelquefois il pouvait être réduit à néant …
La femme de marin devait donc travailler pour vivre et faire vivre ses enfants. Jeune mariée, elle retournait parfois chez sa mère. Il fallait qu’elle trouve une « place » soit dans l’hôtellerie, soit dans l’ostréiculture aux marées ou au « détroctage » des huîtres soit dans une entreprise de « cirages » (cirés des marins) où elles cousaient et enduisaient d’huile de lin les vêtements de protection. Quelques unes étaient lavandières ou couturières à domicile … Petits métiers, petits gains …
D’autres charges les accablaient. Les communions et les fêtes familiales se faisaient sans le père, les maladies et les décès aussi. Dur était, au retour, d’annoncer la mort d’une mère, d’un père ou même celui d’un enfant …
Economes, elles gouvernaient le ménage s’occupant de l’éducation et surtout de l’instruction des enfants. Leur grand désir était que leurs gars puissent s’élever dans la profession : patron de pêche ou même « captain » …
Avec la convention collective de la Grande Pêche dans les années 50 et l’arrivée des chalutiers, leur condition de vie devint moins pénible. Le versement d’un salaire minimum mensuel restait acquis, même si le retour de pêche n’était pas probant. Les rotations devenaient plus courtes. La situation s’était améliorée pour les femmes mais elles ne pouvaient vivre avec ce petit salaire et il fallait continuer à travailler. Vint alors la possibilité de pouvoir un peu épargner et de pouvoir s’installer mieux sur le plan du logement voir même le début de l’accession à la propriété avec prêt.
Au temps des voiliers et au début de l’après guerre 40 / 45, les naissances s’étiraient de juin à septembre. Le bébé était là au retour du père et la mère prête à reprendre une nouvelle grossesse. Après le départ des terre-neuvas les femmes s’interrogeaient : « As-tu sauvé ton année ? » ; phrase lourde d’un poids sociologique …
Et puis voilà le retour des bancs. Ce sont les « provisions » : jautreaux (joues ) et langues de morue ainsi que flétans, à distribuer à la parenté ou aux amis et à vendre. Il y a encore le « coffre » à vider. Les 3 ou 4 rechanges emportés ne sont guère lavés pendant la campagne et il faut frotter et encore frotter pour les décrasser … Suit le raccommodage, il faut voir ces ‘caneçons’ (caleçons à manches longues) ravaudés avec amour et véritable travail de dentellière (un a été remis au Musée A.T.P. de Cancale par une de mes interviewées).
Après la joie des retrouvailles, gain ou pas, le marin reprenait le travail (souvent trouvé par la femme) à la petite pêche, les huîtres ou la culture. Une de mes correspondantes avait son mari qui partait avec une presse à cidre. Quelques couples étaient employés au gardiennage de navire à Saint-Malo et le couple s’installait à bord.
Les retours n’étaient pas tous heureux , au temps des voiliers surtout, le bateau arrivant arborait son pavillon en berne : marin mort à bord ou perdu en mer …La femme se retrouvait seule, avec souvent 3 ou 4 enfants, voir plus, à charge. Avec les chalutiers, les « péris en mer » furent plus rare. Les décès étaient plus souvent dus à des accidents de bord ou la maladie mais annoncés plus rapidement par radio à l’armement. La liste était longue cependant ; voyez, par exemple, à l’Eglise de Cancale cette nomenclature de 450 marins disparus depuis 1881 …
Tout doucement le marin arrivait à ses 55 ans et à la retraite mais très souvent il continuait à travailler ou armait un petit bateau pour pêcher en baie. La femme continuait ou pas ses occupations mais elle restait, en général, « maître à bord » …
Madeleine DERVEAUX
PS : L’étude menée concernait surtout les matelots embarqués à la Grande Pêche.
Mémoire de Terre-Neuvas remercie Madeleine DERVEAUX pour son témoignage et avec elle toutes les assistantes sociales maritimes qui ont été très proches de nos familles. Il leur a fallu beaucoup de psychologie et parfois de courage pour soutenir nos femmes et nos enfants dans les moments difficiles. Souvenons-nous seulement du triste équipage : Maire, Administrateur et Assistante Sociale, qui venait annoncer la mauvaise nouvelle. Merci à toutes.