Naufrage du 3 mâts Marceau
LE VOILIER CANONNE ------- 9 JOURS DANS UN DORIS
Vous trouverez ci-après le résumé du naufrage du trois mâts « Marceau » armement J. Chevalier de Cancale , armé par 31 hommes d'équipage, capitaine E. Letallec , écrit par le maître de pêche François Darcel .
Après une campagne de cinq mois sur les bancs de Terre neuve , le voilier « Marceau » chargé de 5000 quintaux de morue quitte le 1er septembre 1917 les bancs pour aller livrer à Bordeaux . Une jolie brise permet au bateau d'avancer à bonne allure . Le 23, la brise mollit le bateau marche à une vitesse de 2 nœuds juste pour gouverner . Il approche de la zone dangereuse et commence à rencontrer des épaves , des chaloupes brisées , et de multiples débris qui flottent après un naufrage . On doit se trouver sur la ligne des Açores à Bordeaux à au moins 450 milles de terre ( 830 km) .
Toutes les précautions sont prises en cas de cannonage ou de torpillage .Les hommes ont reçu leur numéro d'embarquement dans les doris , les boites à eau et à biscuits sont prêtes .Le 25 septembre à la pointe du jour l'officier de quart aperçoit par tribord à l'horizon un point noir suspect .Il appelle le patron et demande les jumelles . Celui ci croit reconnaître un sous-marin et commande aussitôt «Tout le monde sur le pont » .A peine l'équipage est il habillé qu'on aperçoit un éclair sortir du canon . L'obus bien tiré en direction passe au dessus du grand mât et tombe à 400 mètres de l'autre côté. Nous ne sommes pas armés , aucune défense possible .Le sous-marin tire sans interruption .Il faut évacuer , en quelques minutes les doris sont mis à l'eau et armés par 4 hommes à l'exception du dernier , celui du patron qui ne sera armé qu'à trois .
Chaque doris a des biscuits et de l'eau pour 5 jours , une voile , quatre avirons et un compas de doris .Les hommes ont pris leurs cirés et leurs bottes .Au moment où l'équipage quitte le bord un obus fait sauter la cuisine .Les doris s'éloignent , le sous marin tire 15 coups sans résultat . Il s'approche passe par derrière à 50 mètres ,puis passe par le travers à 100 mètres , il envoie 5 coups de canon à l'avant sur la ligne de flottaison et disparaît vers le nord . Il est 6 heures le navire de Terre Neuve ,chargé de plus de 5000 quintaux de morue ,fruit du travail de 31 hommes pendant sept mois va couler . La large brèche faite à l'avant il ne peut résister . Il pique du nez lentement d'abord puis un soubresaut sur l'arrière ,se pique droit hors de l'eau et c'est l'horrible plongeon du navire qui s'enfonce verticalement .Aucun mât ne s'est brisé , il doit repose au fond aussi intact qu'un jour d'inspection.
L équipage est calme , les ordres ont été donnés « vous êtes sous la latitude de l'Ile d'Yeu à 450 milles .Faites route à E.S.E. » Les doris appareillent à la voile et toute la journée ils navigueront à une distance de 400 mètres . La brise de S.O. Est franche , une petite pluie fine oblige les hommes à garder leurs cirés . La nuit , les doris s'éparpillent et au petit jour nous n'en apercevons plus qu'un à 5 milles dans le nord , mais il nous est impossible de le reconnaître , on continue à la voile . Mais comme il fait faible brise et que notre traversée durera sûrement plus de 5 jours ,il va falloir dès maintenant se rationner .De plus la 3èmè journée les vents passe du NE au SE , il est impossible de faire route à la voile , 2 hommes prendront les avirons pendant une heure et se reposeront ½ heure dans le fond du doris qui
malheureusement fait un peu d'eau et qu'il faut égoutter à chaque repos . On mange ½ galette de biscuit par 24 heures et on boit environ deux quarts d'eau .
Huit jours se sont écoulés depuis le jour où nous avons quitté le bord . Heureusement les vents redonnent du Sud à l 'Ouest , on remet à la voile . Vers huit heures du matin on aperçoit un vapeur qui fait même route que nous ,il va nous rattraper ,on met en travers et on met un paletot au haut du bras en guise de signal . Le vapeur voit nos signaux ,mais comme nous le pensions du reste , il croit à un guet-apens et change de direction en mettant cap au nord .
Nous remettons cap à l'E.S.E. , les vivres diminuent depuis deux jours nous n'avons plus qu'un quart de biscuit « le biscuit pèse 150 grammes » et un quart d'eau . Aucun de nous n'a fumé ni chiqué depuis 8 jours , cela est plus terrible qu'on ne le pense . Vers dix heures ,on entend un bruit de moteur venant de l'Est ,le patron croit à la présence d'hydravions , en effet au même instant on aperçoit 2 hydravions . Ils descendent à 50 mètres au dessus de nous et nous donnent la direction de la terre . La brise faichit ,une bonne brise de O.S.O. , le doris peut aller 4 nœuds , enfin le soir on aperçoit le feu de La Coubre. Le patron gouverne entre ce feu et celui de Chassiron . La marée devant sortir de la rivière de Bordeaux , le patron prévoit qu'il ne pourrait pas gagner ,il faite route vers le Perthuis d'Antioche .Le matin du 9èmè jour à 5 heures on aperçoit un torpilleur qui semble faire route sur Le Verdon , on lui fait signe que nous n'avons plus ni vivres , ni eau , puisque l'on vient de boire le dernier quart . Le torpilleur accoste , nous prend à son bord ,où nous sommes admirablement reçus Le commandant a même la délicatesse de faire embarquer notre doris et il nous amène au Verdon ... SAUVES ...
Mais que sont devenus les équipages des 7 autres doris ?
Nous apprenons qu'au bout de 8 jours deux doris ont pu atterrir sans grande difficulté au Cap Ferret à Arcachon . 1 doris a été recueilli par un vapeur allant en Amérique du Sud . Le doris du capitaine a atterri la 7 -ème journée à Belle Ile . 3 autres doris ont été recueillis par un vapeur allant en Algérie . Dans l'un de ces doris malheureusement deux membres de l'équipage décédèrent d'épuisement et de fatigue , 29 furent sauvés sur 31 .
Et voilà . Crois -tu lecteur que cette histoire vaille mieux que le communiqué envoyé et reproduit par la presse : « Le trois mâts Marceau Capitaine Le Tallec a du être abandonné par son équipage . L'équipage est sain et sauf « .
On ne m'accusera pas d'avoir embelli ou dramatisé les choses . Il n'y a pas dans ce récit 20 mots de plus que ce qui a été écrit dans le rapport de mer . Ces marins qui assuraient le ravitaillement du pays , ces hommes en sursis , au moins qu'on récompense le sens marin de ces hommes sans instruction ,qui dans un simple doris ,avec un petit compas , ½ galette de biscuit et ¼ d'eau par 24 heures trouvent le moyen ,après 7 , 8 , 9 jours de traversée , d'atterrir à l'endroit précis où ils s'étaient désignés .
Le texte original a été offert à l'Association Mémoire et Patrimoine de Terre Neuvas qui en a la propriété et l 'a inclus dans les archives de son musée .