RVH Fernand Menard Pdf
PDF – 262,5 KB 1 téléchargement

Témoignage et remerciement

A la fin des années 50 le choix d’un métier pour débuter sa vie dans le travail se décide jeune, surtout dans les grandes familles. Je suis le deuxième d’une famille de 7 enfants ( 5 garçons et 2 filles). A cette époque je veux comme beaucoup sortir du cocon familial pour gagner ma vie. Aimant la mer et le goût de l’aventure, à force d’entendre parler les marins, je choisis le métier de marin à Terre-Neuve. Et la solution était l’école maritime de Saint-Malo puis l’embarquement. Pour mon premier voyage j’embarque en 1959 sur le Capitaine Pléven. C’est là qu’a commencé la dure épreuve du départ à quinze ans accompagné des parents sur le quai. Mon père, me voyant quitter le port, a fait un malaise ; cela est dû à l’angoisse de me voir partir si jeune et si loin (voyez le moral).

L’arrivée sur les bancs fut très dure avec la glace et la tempête mais il n’y avait pas de porte de sortie. Le travail du mousse commençait par aller chercher la gamelle à l’arrière du bateau. Par mauvais temps, traverser le pont avec celle-ci était un vrai parcours du combattant sous les embruns et les vagues qui nous tombaient dessus. Il n’y avait pas de pont couvert à cette époque. Ensuite c’était la pêche dans le froid, la morue à peine tombée sur le pont était glacée. Comme mousse mon travail était « bailleur » ce qui consistait à nettoyer la morue tranchée qui tombait dans la baille (sorte de demi barrique remplie d’eau) ! Plongeant les mains dans l’eau glaciale il fallait reprendre la morue pour enlever le sang avec un outil (cuillère). Nous avions des mitaines (sortes de gants en laine qui nous permettaient d’avoir moins froid). Là je découvrais un autre monde.

Durant ce voyage, il fallut supporter plusieurs péripéties dont le mal de dents (pas de dentiste à bord) et un panaris dont les séquelles sont encore visibles. Sans anesthésie, le capitaine prenait un bistouris et ouvrait le doigt. Dans ce cas il n’y avait pas d’arrêt de travail ; la solution était le quart à la passerelle avec l’officier soit homme de veille soit à la barre, chose pas facile pour un débutant que de piloter un bateau. Le seul événement qui mettait du baume au cœur était le courrier amené par un bâtiment de la Marine Nationale (l’Aventure puis le Commandant Bourdais) une fois par voyage. Il y avait bien le contact radio (télégramme) mais cela était coûteux.

J’ai assisté à des moments très durs avec des personnes accidentées et soignées à bord. J’ai vu une personne qui n’a pas supporté l’éloignement d’un voyage qui a duré cinq mois. Nous l’avons emmené à terre chez les esquimaux pour le soigner. Il est décédé lors du transport. Nous l’avons ré embarqué avec nous car c’était la fin du voyage ; autant dire que le retour était triste d’autant que la pêche avait été médiocre. Deux autres épreuves ont également marqué mes cinq années sur les bancs.

Lors d’une campagne un marin a eu la joue et l’oreille arrachées par un câble (c’était horrible). Sur pontée (le pont rempli de poissons), l’ordre du capitaine était de travailler le poisson en allant à terre en faisant route lentement pour entrer dans une base militaire dans le Grand Nord. Pour y entrer il fallait dégager le poisson du pont. Il faisait nuit. L’équipage, vu que le capitaine allait se coucher, décida de mettre le poisson à l’eau. Le lieutenant resté seul de veille, assista sans rien dire à cette manœuvre qui nous permettait de rentrer plus vite dans la base. Le travail terminé, il réveilla le capitaine qui naturellement compris la situation et fut contraint de débarquer plus vite cette personne. Heureusement certaines épreuves se terminent mieux avec des gens plus humains.

A vingt ans, partant de Saint-Malo, au bout de quatre jours de traversée j’ai été dans l’impossibilité d’être libre de mes mouvements suite à une inflammation importante du côté gauche. Le capitaine a aussitôt pris contact avec Saint-Lys-Radio, seul moyen à cette époque d’avoir un avis médical. Loin de tout, la solution n’était pas facile. Par chance, le Commandant Bourdais venait sur les bancs. Nous avons ralenti notre vitesse afin que celui-ci nous rejoigne. Pendant ce temps le capitaine m’a laissé sa cabine et dormait sur une banquette (chose que je n’oublierai jamais). J’ai été pris en charge quelques jours plus tard par l’escorteur qui m’a débarqué dans un hôpital où personne ne parlait le français. Je tiens surtout à remercier le lieutenant et le capitaine Hyacinthe CHAPRON qui m’ont aidé dans ce dernier voyage. J’ai vraiment eu de la chance d’avoir cette personne comme capitaine. Peu de gens auraient fait la même chose.

A ma retraite et quarante années après j’ai retrouvé mon capitaine et pour terminer je lui dis encore Merci.                                                                                               Fernand Ménard

 

Merci Fernand pour ce témoignage émouvant mais moi aussi j’ai été sur le pont avant d’être capitaine et j’ai toujours respecté l’homme qu’il soit mousse ou officier.                              HC