Mousse A 12 Ans JBP Pdf
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Mousse à l’âge de 12 ans ½ à bord d’un navire de Grande Pêche

 

Pellé Jean-Baptiste, né le 24 juillet 1918 à St Méloir-des-Ondes (Ille et Vilaine), deuxième d’une famille de six enfants nous raconte ses débuts :

 

J’ai fréquenté l’école Saint Joseph à Saint Méloir-des-Ondes jusqu’à l’âge de 12 ans. En juin 1930 j’ai obtenu avec succès mon certificat d’études primaires (C.E.P.). Mes parents habitaient au village de La Coudre en Saint Méloir-des-Ondes.

A la fin de l’année 1930 mes parents sont venus demeurer à Terrelabouët, commune de Cancale, pays de marins pêcheurs Terre-Neuvas. Mon père Joseph Pellé en était un.

Ne voulant pas fréquenter l’école de Cancale et possédant mon C.E.P. je voulais partir avec mon père en qualité de mousse à Terre-Neuve y pêcher la morue. Ce qui fut dit, fut fait. En février 1931 je signai, en présence de mon père, mon engagement pour embarquer à bord du 3 mats goélette « Saint Suliac » de l’armement Fromal de Saint-Malo. Après avoir effectué toutes les formalités exigées des Affaires Maritimes je pouvais embarquer. Le départ du « Saint Suliac » fut prévu le 1er mars 1931 du port de Saint-Malo pour Terre-Neuve.

Le capitaine de ce voilier s’appelait Hyacinthe Le Gall de Saint-Ideuc près de Saint-Malo. Le second capitaine se nommait Henri Béthuel de la Vicomté-sur-Rance (Côtes d’Armor). J’étais âgé le jour du départ de 12 ans 7 mois et 5 jours. A 10h30 le 1er mars 1931, dans les écluses de Saint-Malo, l’appel des membres de l’équipage fut fait par le second capitaine et personne ne manquait à bord. Ne possédant pas de moteur le remorqueur décolla le « Saint Suliac » du quai des écluses et le déhala jusque sur la rade de Saint-Malo. Les vents assez forts, venant de la partie Est, nous étaient favorables. Toutes les voiles hissées nous emportaient vers le large. Avant de doubler le Cap Fréhel le capitaine invita tout l’équipage à se réunir sur la dunette arrière du navire pour y prier la vierge Notre Dame du Verger de Cancale, protectrice des marins Terre-Neuvas, afin qu’elle nous protège durant la campagne sur les bancs et que la pêche soit bonne.

Nous étions 32 hommes à bord comme membres de l’équipage. Quelques cafardeux se trouvaient en léger état d’ébriété. Pour se rendre sur les lieux de pêche l’équipage fut réparti en 2 bordées : les tribordais et les bâbordais; cela pour veiller à la bonne marche du navire. La traversée dura 19 jours et se passa très normalement. Pendant cette traversée les patrons et avant de doris préparèrent leurs lignes de pêche de marque Bessonneau. La longueur de chaque pièce de ligne était de 133 mètres et sur chacune d’elle il fallait fixer 70 hameçons au moyen d’une empile. Chaque doris recevait 24 pièces de ligne ce qui représentait 3 192 mètres de lignes qu’on appelait un tantis c’est-à-dire l’ensemble des lignes de fonds tendues par ce doris. Nous possédions 12 doris à bord armés par 24 hommes.

Je dois ajouter que pendant les 8 premiers jours, après le départ de Saint-Malo, je fus malade à crever du mal de mer. De plus j’avais élevé une grande famille que l’on appelle les poux. En voyant cela mon père qui possédait ciseaux et tondeuse pour couper les cheveux à bord, me fit monter sur le pont pour me faire la coupe militaire et réglementaire des cheveux c’est-à-dire à ras. Le shampoing du jeune pelletas fut, après la coupe, un litre de pétrole et les vêtements de laine que je portais sur moi furent jetés à la mer avec leurs occupants nuisibles. Ma couchette fut également désinfectée avec du pétrole et tout alla bien par la suite.

Mon travail à bord en qualité de mousse était en traversée de nettoyer et entretenir le poste d’équipage arrière où demeuraient l’état major et les patrons de doris. J’allais aussi à la cuisine chercher les repas pour ces membres et laver ensuite la vaisselle. Sur les lieux de pêche mon travail augmentait. Il fallait mettre sur moi cirés et bottes et s’occuper du poisson ramené à bord par les dorissiers. Laver les morues tranchées par le capitaine et son second représentait une mission très douloureuse car il fallait plonger les mains dans une baille pleine d’eau glacée.

Le 19 mars 1931, dans l’après midi, nous arrivâmes sur Le Platier. Le capitaine donna l’ordre de carguer les voiles, de les replier autour des vergues et de mouiller l’ancre. C’est sur le banc du Platier que les bulots étaient les plus abondants. Ces mollusques servaient d’appât à la capture des morues. Ces bulots étaient capturés au moyen de chaudrettes appelées aussi coudrettes, dont l’appât en début de campagne était de la viande d’équarrissage (cheval) salée et stockée dans une petite cale sous le mat de misaine appelée « Berton ».

Deux ou trois jours plus tard, après avoir pêché quelques tonnes de bulots nous quittâmes le mouillage et fîmes route quelques heures pour mouiller sur un nouveau banc : le « Banquereau » me semble-t-il, sans plus de précision. Dès l’arrivée au nouveau mouillage les 12 doris furent mis à l’eau et les dorissiers partirent chacun dans la direction désignée par le capitaine pour tendre leurs lignes de fonds. Le lendemain matin, au lever du jour, les doris quittèrent le bord pour aller relever leurs lignes. Bonne surprise pour la première marée, tous les doris revinrent chargés de belles morues appelées aussi « Caouanne » par les marins. Tenant la bosse du premier doris arrivé à tribord, je dus, comme cela est de coutume aux mousses faisant leur première campagne, prendre dans mes bras la première morue tombée sur le pont et l’embrasser dix fois sur la bouche. Ces baisers n’étaient pas de la plus grande chaleur. Une fois le poisson embarqué les doris étaient amarrés à l’arrière du navire sur un filin que l’on appelle « Sabaille ». Les dorissiers se mettaient ensuite à étriper la morue qui était jetée dans un parc monté sur le pont. Le décolleur enlevait la tête et déposait le corps de la morue sur l’étal pour y être tranché par le capitaine et son second. Chaque morue tranchée tombait dans une baille d’eau glacée pour y être lavée et nettoyée de son sang mort par les mousses. Puis ce poisson était affalé dans la cale pour y être empilé et salé par le saleur. Le travail indiqué ci-dessus était effectué chaque jour de la campagne quand le temps le permettait. C’était un métier très très pénible et très fatiguant. Lorsqu’il y avait une tempête nous restions dans la cabane jusqu’à l’accalmie ; on appelait cela une marée d’aornie ou une marée de cabane.

Le plus mauvais souvenir de ma première campagne fut le 29 septembre 1931, jour de la Saint Michel, avant de débanquer. C’était la fin de la campagne, le navire était au mouillage et vers 22h30 un cyclone se leva très rapidement. En quelques minutes des vagues s’élevèrent à près de 20 mètres de hauteur. Tous nos doris embarqués et saisis sur le pont furent brisés par un gros paquet de mer. Le navire malmené par la tempête était toujours au mouillage avec 10 maillons de chaîne sur le nez c’est-à-dire 300 mètres de chaîne de longueur. Nous avons été près de la mort car la partie métallique de l’écubier avait été arrachée et la chaîne commençait à scier l’avant du navire. La construction du « Saint Suliac » était en bois. Il fallait scier, avec une scie à métaux, une maille de la chaîne à l’extérieur de l’écubier. C’est mon père qui se porta volontaire pour accomplir cette dangereuse mission. Il fut amarré avec un cordage solide pour ne pas se faire emporter par une vague. Sa périlleuse mission se termina bien. Le navire, libéré de son ancre et de ses 10 maillons de chaîne, se mit à dériver. La misaine fut hissée avec un foc et le navire se maintint au plus près du vent.

 En raison des dégâts occasionnés à bord : doris brisés, chaîne et ancre restées au fond de la mer, le capitaine décida de débanquer et de rentrer en France. Le capitaine, dans ce cyclone, eut la jambe droite brisée. La traversée du retour dura un mois. Nous arrivâmes à Saint-Malo le 1er novembre 1931, jour de la Toussaint. Nous n’avions plus de vivres à bord et étions restés 3 jours sans manger et sans boire. Ce fut une triste campagne pour ma première année de navigation. Nous n’eûmes pas un sou de retour avec un bateau chargé de 5 500 quintaux de morue. L’armateur et les actionnaires s’approprièrent le fruit de notre travail de 8 mois de mer.

Téméraire en mai 1946 : Henri Noblet  tient la tête et Jean-Baptiste la queue de la caouanne

 

Malgré les risques de ce dur métier je n’ai pas hésité à remettre ça les années suivantes. J’avais même envisagé de devenir capitaine mais hélas la guerre de 1939-1945 m’en a empêché.

 

Composition de l’équipage du « Saint Suliac » (32 hommes) :

 

1       capitaine                        1       second capitaine

1       saleur                             1       cuisinier

24     matelots et patrons de doris

2       novices                          2       mousses

 

 

         Cancale le 07 mars 2007, Jean-Baptiste Pellé