Deux Hommes Perdus Dans Un Doris Pdf
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Deux hommes perdus sur un doris dans l’océan glacial

 

La fantastique aventure d’Adolphe Renaut de Dinard et de Jean Marie Lebigot de la Fresnaie, au large des cotes du Groenland.

 

            Trente minutes avant minuit, le mardi 21 juillet 1931, deux marins du Notre Dame de Bizeux, un terre-neuvas de 35 hommes d’équipage sous le commandement du capitaine Thébault de Cancale, quittaient le bord sur leur doris.

            C’étaient Renaut Adolphe, 37 ans de Dinard et Lebigot Jean Marie, 24 ans de La Fresnaie.

Ils se dirigeaient vers le banc Filasse à la recherche de poisson.

Dans l’océan glacial

Depuis 18 jours, leur navire avait abandonné les eaux de Terre-neuve, désertée par la morue, pour venir mouiller dans le détroit de Davis, au large du Mont Fisco, à une trentaine de milles de la cote du Groenland.

La pêche s’annonçait fructueuse, mais, dans les eaux du Groenland, le temps que l’on peut y consacrer est plus court de deux mois au moins que celui dont nos marins disposaient à Terre-neuve. Il est vrai que le poisson est plus abondant. Le temps, quoique très froid, beaucoup plus calme que sur le Bonnet flamand, et ce n’est pas la brume qui recouvre presque continuellement les lieux de pêche qui peut arrêter les pêcheurs habitués à surmonter bien d’autres obstacles.

 

Les morues au grappin

 

Ajoutons que le mode même de pêche au Groenland, simplifie notablement le travail des marins. Alors qu’à Terre-neuve il leur fallait boeter leurs lignes, les tendre, puis les relever, au Groenland il suffit de jeter par-dessus bord un grappin formé d’un poisson en plomb muni de deux hameçons, et les bancs de morue sont si denses qu’il n’est pas rare que, chaque fois, le grappin remonte un poisson agrippé par le flanc ou la tête.

 

Une pêche miraculeuse.

 

Renaut et Lebigot jettent donc leur grappin. Ils ont arrêté leur doris dans le suroit de l’Atlanta, navire à moteur de Saint Pierre de Terre-neuve, à 7 milles environ de ce bâtiment. Le poisson ne donne pas. Il faut aller à sa rencontre. La voile du doris est hissée. Un mille est ainsi parcouru. Cette fois, les grappins résistent sous le poids des poissons, et bientôt le doris est plein aux trois quarts; Les hommes reprennent les avirons. Ils finiront de remplir leur bateau en regagnant leur bord.

 

Perdus dans la brume

 

Mais les flocons de la brume se sont épaissis, le soleil qui, durant six mois, ne cesse de resplendir dans le ciel arctique ne parvient pas à percer le voile opaque qui recouvre la mer. Nos deux marins ne se sont pas aperçus que les courants les ont déportés bien loin de leur point de départ.

Ils essaient de s’orienter : impossible. Ils se mettent à ramer. Une heure passe. Puis deux. Puis trois…

Il fait maintenant grand jour. Ils s’arrêtent parfois quelques instants, pour tendre l’oreille sur les vagues. Pas un bruit. Ils repartent. Ils rament tant qu’ils peuvent sans savoir où ils vont. La fatigue, l’angoisse brisent les nerfs.

La nuit est revenue. Quelle nuit ! Ils rament encore. Il fait froid, on ne peut s’arrêter. L’aube renait. Ils rament toujours….

Depuis 48 heures, sans relâche, de toutes leurs forces, les paumes en sang, ils tirent sur leurs avirons . Vainement, la mer est vide.

 

Plus de vivres

 

Et le temps passe, inexorable. Et le moment vient où le biscuit et l’eau sont épuises. Plus rien à manger ni à boire. et 36 heures encore s’écoulent après que leur gosier en feu et leur estomac crispés n’ont senti le contact du dernier fragment de nourriture.

 

C’est la fin

 

C’est la fin à bref délai….

Ils s’arrêtent et pleurent. Leur volonté, cette fois va céder.

 

Couchés dans leurs doris, dont ils ont dû jeter à la mer, la cargaison en putré-faction, Renaut et Lebigot ne sont plus que de malheureux naufragés, sur qui tombent, comme de grosses larmes, les gouttes glacées de la brume. La mort va-t-elle les prendre ainsi, comme tant d’autres qui furent retrouvés flottant au gré des flots dans leur doris devenu leur cercueil ?

 

La terre !

 

La mort ? A cette pensée, les mains défaillantes des deux marins se crispent aux avirons. Dans un suprême sursaut d’énergie, ils dirigent l’esquif vers cette ombre plus épaisse qui barre leur horizon. Peu à peu, l’ombre se précise, des formes se dessinent. Ce sont des rochers qui surgissent de la brume. C’est la terre, c’est le salut, c’est la vie….

 

Affamés

 

A genoux sur la mousse et le lichen qui recouvrent la mince couche d’humus accumulée au creux des rochers, Renaut et Lebigot dévorent de l’herbe, des pissenlits et s’abreuvent goulument au filet d’eau qui descend d »’un glacier voisin et glisse vers la mer sur les galets.

 

Un désert glacé

 

Les naufragés sont devenus des Robinsons. Leur bonne étoile les a conduits dans l’un de ces fjords Qui bordent la côte du Groenland. C’est un paysage dé-sertique, où n’apparait nulle trace d’êtres humains. Le calme effrayant de cette solitude est cependant rompu par les cris plaintifs d’un grand nombre d’oiseaux, des eiders, des mouettes, des pétrels. Mais sans armes, les deux rescapés ne peuvent songer à en capturer quelques spécimens. Parfois des aboiements se répercutent dans les rochers qui s’échelonnent et se chevauchent jusqu’à se perdre dans la brume. Ce sont de magnifiques renards bleus qui fuient devant ce qui trouble leur solitude.

           

 

 

Sept jours d’agonie

 

Aucun arbre, aucun buisson, mais des touffes d’une herbe drue dans les creux abrités, et sur la mousse, des pissenlits dont se nourriront Renaut et Lebigot durant sept jours. Surtout Lebigot, car son camarade parvint à manger quelques filets de morue crue ainsi que des foies saignants de ces poissons. L’estomac de Lebigot se refusait à conserver cette nourriture.

 

 

Pendant sept jours, les malheureux vécurent ainsi de poissons crus, d’herbe et de pissenlits. Ils partaient chaque matin sur leur doris, errant à l’aventure, dans l’espoir de rencontrer un navire, puis lorsque les forces défaillaient, ils revenaient à terre dans le fjord hostile, et, après avoir bu un peu d’eau et mâché de l’herbe, ils essayaient de dormir côte à côte dans l’anfractuosité d’un rocher.

Le feu qui s’éteint

Certains jours, Renaut parvint à faire du feu. L’essence de son briquet s’était évaporée. Une étincelle enflamma le coton hydrophile qu’il avait arraché au briquet, un de mousse sèche, des morceaux de bois laissés sur les galets par le flot, et nos deux hommes entrevirent la possibilité de griller du poisson et de réchauffer leurs membres engourdis par le froid.

Hélas le bois était mouillé et, après avoir fourni quelques volutes d’épaisse fumée, le feu s’éteignit, sans moyen de pouvoir le rallumer. C’est alors qu’au comble de la souffrance et de la faiblesse, ils mâchèrent la coiffe de leur casquette et les bracelets de caoutchouc faits de bandes découpées dans des chambres à air de vélos et qui leur servaient à maintenir leurs mitaines à leurs poignets.

 

 

«  Laisse-moi mourir 

 

            Depuis 6 jours et sept nuits , ils sont là, au milieu des rochers …..Le septième jour ,à onze          heures du matin, Lebigot sent ses forces l'abandonner .Il quitte son ciré , trop lourd à ses épaules , ses bottes que ses jambes qui flageolent , ne peuvent plus traîner, puis après avoir conseillé à Renaut de repartir seul à bord du doris allégé de son poids , il se couche , résigné, épuisé, pour attendre la mort ….

            Renaut pleure ! Il pleure devant son camarade qui, les paupières closes, git inerte à ses pieds,     il pleure, car lui aussi prévoit que bientôt, son sang anémié se figera dans ses veines . Mais il    ne veut pas mourir : là-bas, une vieille maman, une jeune femme, trois tout petits enfants, attendent son retour .Il veut vivre pour eux . Il vivra. Mais avant de repartir à l'aventure vers      le large , il veut essayer de ranimer son compagnon qu'il ne peut se résigner à abandonner .

            « Dors, Jean » dit-il, sa voix se faisant paternelle. «  Dors, cela te fera du bien ». Et

pur calmer la fièvre du moribond, pour lui procurer un sommeil réparateur, il se couche à

côté de lui, s'approche tout prés pour le réchauffer et fait semblant de dormir.

            Jean Lebigot s'est endormi. Renaut se lève doucement. Il va cueillir une dernière fois

des pissenlits qu'il hachera en menus morceaux afin que Jean puisse en manger encore une

fois à son réveil , et puis, il le portera sur le doris, et l'emmènera vers le large , décidé à mourir avec lui sur les flots , dans la brume , si le secours se fait attendre .

 

            Un bruit de marteaux

 

            Soudain , des coups retentissent, tout au fond du fjord , de l'autre côté de l'eau .

            On dirait le choc de marteaux sur des tonneaux. Renaut s'arrête. Est-ce une illusion ? Est-ce       la fièvre qui frappe à ses tempes ? Mais non, là-bas , dans le lointain, il distingue des formes humaines . Elles sont si lointaines que l'on dirait des pygmées. Il se hâte d'aller retrouver son camarade ;  «  Jean ! Jean! Entends-tu ? On frappe ! » . Jean Lebigot ouvre les yeux . Il a dormi, le sommeil l'a un peu réconforté. Mais il fait signe que c'est  «  dans sa tête » qu'il sent des chocs.

            «  Non, Jean! crie Renaut, c'est là-bas , des hommes qui vont nous sauver » et pendant que Jean Lebigot se dresse sur ses genoux , Renaut crie, hurle, agite son ciré .

           

            Sauvés

 

                        On l'a aperçu. Tout un groupe d'hommes descend les rochers, s'embarque dans une petite baleinière et se dirige de leur côté.

                        Eux-mêmes, se soutenant mutuellement, se laissent glisser vers leur doris et y tombent , exténués par ce nouvel effort . Mais la baleinière a enfin accosté le doris. Sans perdre   de temps ,leurs sauveurs se mettent en devoir de réconforter les malheureux marins . Ils leur          font absorber de grands bols d'un thé sucré qu'ils ont chauffé sur une lampe à alcool . Ils leur        taillent de larges tartines d'un pain très noir , beurré d'une épaisse couche de graisse , et cette collation terminée , leur offrent de gros cigares que nos deux pêcheurs fument avec le plaisir            que l'on devine .

           

            Des Esquimaux

 

                        Ils venaient d'être sauvés d'une mort certaine par une famille d'esquimaux qui, à bord     d'une baleinière , explorait le fjord  à la recherche des poteaux de mine rejetés par la mer .

            Ces épaves qu'ils débitent sur place, leur fournissent avec la tourbe du pays, le combustible pour la longue saison d’hiver.

            Cette famille comprenait le Chef d'une quarantaine d’années, trois autres hommes plus

            jeunes, la femme, une jeune fille et trois petits enfants. Comme toutes les familles esquimaux, celle-ci avait du quitter sa hutte de terre où, dans la seule pièce composant l'habitation, tout le monde vit pêle-mêle, pour s'adonner dans la journée à l'industrie du pays: la pêche, la chasse et par surcroît, la récolte des épaves.

 

            Un village au Groënland

 

            Délaissant leur besogne interrompue par les signaux de Renaut, les  Esquimaux s’empressèrent de les ramener dans leur village, après avoir dit à Jean Lebigot de se placer dans le doris et à Renaut de se placer à la barre .Deux des hommes prirent les rames et, précédés de la baleinière , ramèrent vers un autre fjord, invisible à ce moment , où ils abordèrent après deux heures environ de voyage .Tout au fond de ce fjord s'abritait le minuscule village d' Atanguik, petite agglomération de deux cents âmes environ , constitué de huttes en terre et de quelques chalets en bois . En général, ces dernières demeures, relativement confortables ,sont habitées par des familles danoises. Les huttes appartiennent aux Esquimaux.

            C'est dans l'une d'elles, que la famille des sauveteurs fit entrer les deux rescapés et leur manifesta les signes de la plus grande amitié, leur offrant des gâteaux qu'un enfant était allé acheter au magasin du gouverneur au port voisin .

            Les relations entre les marins et leurs hôtes ne s'établissent que par signes car, réciproquement, ils ne se comprennent pas autrement .

                       

            Une leçon d'esquimau sous la hutte

 

                        Un seul mot suffit d'ailleurs aux uns et aux autres : le mot « Hap »,qui doit signifier « donne ». Cependant, quelques minutes après leur arrivée, les deux jeunes Esquimaux qui avaient dirigé le doris , avaient transcrit leurs noms sur un morceau de papier ,à l'aide d'un crayon .

            L'un s'appelait Salomon Yacobsen et l'autre Albrikt Skifti . De là à établir un vocabulaire de mots usuels, il n'y avait qu'un pas ; Renaut ayant écrit un certain nombre de notes dont il désignait les objets, un des jeunes gens en transcrivit aussitôt la traduction. Nous avons sous les yeux le résultat de cette curieuse leçon de langue «  Karolit » donnée le 31 Juillet , sous la hutte d'un Esquimau , à deux marins recueillis mourants sur un rocher au Groënland .

            En voici quelques extraits :

            cuisinier: tgusok – marmite: iga – glace: tarrassût –crayon akerdhussû – lunette :issétasse:nitorfik -casquette: nasak –table nerrevik -botte: karnipât

           

            La royale hospitalité du gouverneur de Napossok

 

            Mais le chef de la famille esquimau était le pasteur du village et il fit signe aux deux marins de le suivre à la chapelle . C'était une petite construction en bois : quelques bancs, un christ ,un harmonium en constituaient l'ameublement .

            Le pasteur se mit à l'harmonium et chanta de toute son âme.

            De la chapelle, Lebigot et Renaut furent conduits chez le gouverneur du port qui leur fit une      réception des plus cordiales . C'est là qu'ils apprirent le nom de la localité: Napossok, dont le village d'Atangmik faisait partie .Le gouverneur était danois et tenait un magasin d'alimentation pour toute l'agglomération. Sa femme, venue saluer les deux marins se retira et ne parut plus .Elle mangea seule dans une autre pièce , pendant que les hommes prenaient le

repas du soir composé de pain blanc, de filets de harengs, de saucisson, de pommes de terre en robe de chambre, de gâteaux et d'eau claire .

            Après le repas , le gouverneur , musicien, se mit au piano et chanta avant que les

            deux marins aillent se coucher dans de grands sacs de peaux de biques, sur le plancher, la tête sur des coussins .

           

            Vers Sukkertoppen

 

            Le lendemain , un petit vapeur emmena les deux hommes au port de Sukkertoppen

            Ils furent accueillis par le directeur du port qui leur fit passer une visite sanitaire et ils purent      prendre une bonne douche . On leur remit des habits neufs : chemise, caleçon, chaussettes...

            Nos deux rescapés devaient emporter de leur séjour à Sukkertoppen le plus agréable souvenir. Danois et Esquimaux s'ingéniaient à leur faire plaisir. Les enfants , eux-mêmes ne cessaient de leur témoigner leurs sentiments d'amitié en leur offrant des gâteaux , des cigares , du tabac à chiquer , du raisin .Ils ne pouvaient faire un pas dans la ville sans être suivis par des curieux .

            Le directeur , un homme charmant , leur offrit l'hospitalité, et pour la première fois depuis onze jours , ils purent coucher dans un lit .

            Pour la première fois aussi, ils rencontrèrent une personne qui parlait en Français .

            C'était une jeune fille appartenant à une famille canadienne qui les reçut et leur fit fête en leur offrant Porto, gâteaux et cigares. Douze jours s'écoulent …....

 

            Le retour à bord »

 

            Le 15 Août , un avion français,la  « Ville d'Ys »venant faire le plein d'eau et de combustible au port de Sukkertoppen, recueille les deux marins et appareille pour les lieux de pêche après avoir lancé un « radio »porteur de la bonne nouvelle que devaient capter la « Sainte Jeanne » et la « Madiana ».

            Cinq jours plus tard, les deux marins furent transférés de la « Ville d'Ys » à la « sainte Jeanne » . Ayant eu connaissance de la présence des deux naufragés à bord de la « Sainte Jeanne », le capitaine du « Notre dame de Bizeux » s'empresse de venir les recueillir.

            Un mois , jour pour jour, aprés leur départ, Renaut et Lebigot reprenaient leur place à bord du «  Notre Dame de Bizeux »et, pour leur retour, la ration de vin fut doublée ce soir-là .